Lille 2023 > Extraits des échanges

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A) Lille

La fabrique politique d’une métropole multipolaire et singulière 

La métropole de Lille (MEL) a ceci de particulier qu’elle ne possède pas de centre évident puisqu’elle réunit Lille, Roubaix, Tourcoing et un grand nombre de communes rurales. L’État gaulliste – la communauté urbaine de Lille ayant été créée le 1er janvier 1968 – a-t-il voulu modérer le jeu politique local en y apportant un centrisme de bon aloi, fait mine de se demander Étienne PEYRAT ? Les élus ne s’en sont pas moins emparés avec enthousiasme et la communauté urbaine de Lille a connu une expansion très rapide dès les années 1970, structurée de facto, mais non sans rivalités, par un axe sud/sud-est Lille/Villeneuve-d’Ascq et un axe nord autour de Roubaix et de Tourcoing dont les élus vont contester la centralité de Lille. Aujourd’hui le consensus politique est assez fort, et le climat très différent de celui qui s’observe à l’échelle nationale. Olivier LANDEL rappelle qu’à l’origine les communes rurales avaient un représentant unique mais ceci a été modifié par l’amendement Diligent :  un maire = une voix.

Sans vouloir faire un « cours de marketing territorial », Didier DECOUPIGNY se plaît à rappeler que la métropole de Lille, qui dépasse le million d’habitants aussi bien que Lyon et Marseille, est le troisième bassin de consommation au monde. C’est aussi la deuxième région après Paris pour l’investissement de capitaux étrangers. Ici pas de dialectique « centre/périphérie », cela n’aurait pas de sens : on parle plutôt d’une nappe urbanisée, mais qui se déploie sur un territoire agricole à 49 %. Le passé industriel de la région est un héritage : c’est ici qu’est né le concept de « ville renouvelée ».  Après le TGV, l’aéroport, le tunnel sous la Manche…, le prochain grand projet structurant est le Canal Seine Nord Europe. 

B) Enjeux portuaires et post-industriels

Les infrastructures héritées des siècles derniers sont des supports importants de transition économique et urbaine.

Ports et voie d’eau : de nouvelles opportunités

Il est utile de rappeler, comme le fait César DUCRUET, à quel point le transport maritime structure les échanges internationaux – 80 % du commerce mondial – en concentrant les volumes transportés sur des hubs accueillant des navires de plus en plus gigantesques. La notion de ville portuaire n’a plus guère de sens. En revanche les territoires doivent accueillir de plus en plus d’infrastructures logistiques, généralement routières, pour dispatcher ces marchandises vers les consommateurs. Cette activité est le théâtre d’une intense compétition entre les opérateurs privés et parfois dans une logique de filière : Merckx, premier armateur mondial, investit dans la logistique. 

« La voie d’eau a été très négligée ces dernières décennies mais les choses sont en train de changer et nous vivons vraiment un moment de rupture » commence Thierry GUIMBAUD. 

Voies navigables de France (VNF) exerce trois métiers : la logistique fluviale, l’aménagement des territoires autour de l’eau et la gestion de l’eau à travers le tourisme, le domanial et les énergies renouvelables. Cette fonction de gestion prend une importance particulière aujourd’hui puisqu’elle permet notamment d’amortir les écarts de débit d’eau, ce que l’on ne peut pas faire sur des cours d’eau non gérés (« la Seine pourrait être à sec sans ses barrages gérés »). Plus généralement VNF, opérateur de l’État, est au cœur de la planification écologique puisqu’il intervient sur 12 des 22 chantiers gouvernementaux du programme France Nation Verte. En particulier sur les chantiers Logistique, Énergie, Eau et Biodiversité. VNF est aussi impliqué dans le projet Seine-Escaut, liaison à grand gabarit entre la France, la Belgique et les Pays-Bas (1 100 km sur un territoire de 40 millions d’habitants). 

Le canal de Bruxelles, stratégique à plus d’un titre

Bruxelles est quant à elle le B de l’axe ABC (AnversBruxelles-Charleroi), concurrencé par Seine-Nord mais cette perspective n’émeut pas son directeur Gert VAN DER EEKEN. Le canal de Bruxelles est intégré dans un réseau trans-européen de voies d’eau de 42 000 km. Hormis les fonctions portuaires de cette importante plateforme multimodale, le Port est un acteur majeur du fonctionnement urbain de la Région de Bruxelles Capitale. Ce rôle est formalisé par le contrat de gestion 2021- 2025 dont les objectifs sont une logistique urbaine durable et une économie circulaire, une utilisation plus verte du canal et de ses alentours et enfin une meilleure intégration urbaine. Le canal traversant la Région du nord au sud est sa seule pénétrante non embouteillée ; il peut doubler facilement sa capacité d’utilisation sans investissements complémentaires. Le Port travaille en particulier au développent de la logistique de chantier dans cette « forêt de grues » qu’est Bruxelles ; un autre projet « qui avance bien » est celui de la reconversion de l’ancien centre TIR en centre de logistique urbaine avec connexion ferroviaire. 

Strasbourg, port en transition 

Le port autonome de Strasbourg (PAS), premier port rhénan français, est géré depuis un siècle par un établissement public État-Ville. Il tire ses principaux revenus de son statut de propriétaire foncier, encaissant des redevances de la part des entreprises utilisatrices, ce qui ne l’a pas empêché de céder des emprises importantes au bénéfice du projet urbain des « Deux-Rives ». En 2030, le secteur aura 6000 habitants. Se voulant « agile et stratège », selon l’expression de sa directrice générale Claire MERLIN, le PAS s’attaque à plusieurs défis d’évolution, comme « l’attrition » de certains secteurs historiques du port (pétrole) et la nécessité de renforcer l’intermodalité eau-rail, mais tout autant l’accessibilité routière sans laquelle « le port meurt ». Entre la ZFE et l’acceptabilité déclinante de la route au sein de la population, le challenge n’est pas mince. Parallèlement, le port développe un projet habile et foisonnant de transition en s’appuyant sur les entreprises utilisatrices. L’une des actions les plus spectaculaires, parmi les multiples « synergies » rendues possibles par l’existence et l’animation de cette communauté, figure la récupération de la chaleur fatale d’un papetier, qui chauffe les écoles et la clinique du quartier voisin.

Ville renouvelée

La SEM Ville Renouvelée est concessionnaire d’un grand secteur d’aménagement de 80 ha sur les communes de Roubaix, Tourcoing et Wattrelos. Le concept de « ville renouvelée » reconnaît la nécessité de travailler sur le temps long en conjuguant innovation, préservation de l’héritage industriel et développement durable. En plus de son cœur de  métier – l’aménagement – la SEM est également maître d’ouvrage de la rénovation des bâtiments anciens, gestionnaire immobilier, exploitant de parcs de stationnement mutualisés… « Il ne peut pas y avoir de grand projet sans portage politique fort », rappelle Giuseppe LO MONACO. Le rôle de la SEM est de conforter la décision politique en démontrant que la vision est créatrice de valeur durable. Pour la Métropole européenne de Lille, pouvoir s’appuyer sur un concessionnaire agile, qui va s’adapter aux évolutions de la société sans remettre en cause la vision générale, et qui va neutraliser un peu les passions politiques lors des échéances électorales, « ça ne résout pas tout, évidemment, mais ça facilite quelque peu les choses ». 

Plaine Images, un berceau pour les industries culturelles et créatives

Les industries culturelles et créatives sont l’une des cinq filières d’excellence cultivées par la MEL, dans une stratégie régionale qui associe jusqu’à Dunkerque et Valenciennes. Plusieurs friches leur sont dédiées, dans ce secteur nord-est de la métropole, sur les communes de Roubaix et de Tourcoing qui furent, il y a cent ans, les plus riches de France. À l’origine du projet, il était plutôt question d’audiovisuel, mais la MEL a su s’adapter et s’orienter vers ce secteur, tandis que « le poids économique du loisirs et du divertissement est devenu supérieur à celui de l’automobile », souligne Ludovic GROUSSET. La French Touch, notamment l’excellence de la formation dans les métiers de la création numérique, est reconnue mondialement. Ce secteur crée énormément de valeur, ce qui légitime l’investissement public important qui a été nécessaire pour lancer l’impulsion et attirer à son tour l’investissement privé. 

C’est le cas en particulier de Plaine Images, lieu dédié à ces industries implanté dans l’une de ces friches. La mission de l’équipe d’une vingtaine de personnes animée par Emmanuel DELAMARRE consiste à accueillir ou soutenir ou mettre en synergie plusieurs écoles de formation supérieure et permanente, des entreprises porteuses de projet (qui ne sont pas nécessairement des startups) et des équipes de recherche autour de la réalité virtuelle. Il y a 150 entreprises présentes sur le site et 50 projets en incubateur, soit environ 2000 personnes qui travaillent sur le site. Trois thématiques principales les occupent : l’audiovisuel (audio surtout), le jeu vidéo, la musique. Dans chacun de ces domaines, le numérique a considérablement rebattu les cartes, c’est-à-dire les chaînes de valeur et les modèles économiques. Côté éducation, il faut citer l’école Le Fresnoy, le Pôle IIID et ArtFX, autant d’établissements présents sur le site ou autour dont les entreprises s’arrachent les diplômés à leur sortie. Rappelons les Nordistes ne sont pas tout à fait novices en matière d’entrepreneuriat. À titre d’exemple, la famille propriétaire d’OVH, fondée à Roubaix, est l’un des investisseurs du site.   

Jeux vidéo

La société Ihstar Games, créée en 2005, s’est installée à la Plaine Image il y a une dizaine d’années. C’est à peu près à ce moment-là qu’elle a changé de modèle économique, passant de la création de serious games en prestation de service au statut d’auteur de jeux vidéos, avant de rejoindre l’éditeur Nacon en 2021. Ce dernier « rachète des studios » dans la perspective, selon Matthieu RICHEZ fondateur d’Ishtar, d’une « Netflixisation » de l’économie du jeu vidéo, où les gagnants seront ceux capables de produire des contenus de qualité en quantité : « nous devenons leur label indépendant de jeux vidéo et nous travaillons aussi sur les jeux des autres studios » [du groupe]). On apprend à cette occasion que l’âge moyen de l’acheteur de jeux vidéos est de 42 ans et que près d’un sur deux est une acheteuse (49 %).

L’une des écoles dont les studios s’arrachent les diplômés est ARTFX, née à Montpellier et implantée depuis trois ans également sur la Plaine Images. 

Elle revendique un positionnement de pointe sur les deux versants de son art, la création graphique d’un côté, la haute technicité informatique de l’autre. Les films de fin d’étude des étudiants sont présentés dans les compétitions internationales. Et 95 % des diplômées sont en poste au bout de six mois, la moitié à l’international. L’école est en haut de la liste de recrutement pour les studios créateurs de Game of Thrones. Bref, ARTFX a le vent en poupe. Ses « valeurs » ? Agilité, proximité avec les studios et entraide, car un film est un travail d’équipe. Ce dernier aspect n’est pas le plus évident, confesse Alexandre PAGOT, dans une époque qui tend à confondre socialisation et réseaux sociaux.

Touche wallone

À Mons en Belgique, à une heure de Lille, Wake est un espace « où on parle ICC, pour faire un peu cluster à l’échelle de la Wallonie, mais aujourd’hui un peu en flottement », explique Delphine JENART en citant les membres implantés dans différentes villes. Elle-même y représente Technocité, un centre de formation et de développement de compétence pour faciliter le retour à l’emploi sur deux segments stratégiques : les TIC et les ICC. Wake mérite vraiment de se structurer (un peu à la façon de la French Tech), dans une Wallonie qui présente une incroyable densité culturelle dans les domaines du cinéma  – toutes les grandes villes ont leur festival de cinéma – des musées, de la BD et même des capitales européennes de la culture et des villes Unesco ! Et Liège, « en faillite complète il y a 40 ans », est devenue le symbole d’une reconversion technologique réussie. 

C) Sciences comportementales et management

Des biais aussi nombreux que méconnus affectent nos comportements, et par là notre mode de management.

Depuis 2015, le département R&D de la métropole de Lille travaille à identifier à la fois les tendances sociétales dont elle doit tenir compte et les irritants à corriger dans son organisation. Très opérationnel, ce département vise à améliorer l’efficience de la collectivité en utilisant les sciences comportementales dans la définition des politiques publiques et dans le management. Nolwenn ANIER et Romain PUPIER animent en particulier dans ce sens une communauté de 470 managers. Dans ce cadre, la MEL a confié une mission au chercheur en psychologie sociale Nicolas FIEULAINE. 

Les sciences comportementales réunissent les neuro-sciences, les sciences cognitives, la psychologie et la psychologie sociale, et enfin l’économie comportementale et le design comportemental. 

Pour comprendre en quoi elles sont utiles aux politiques publiques, il suffit d’évoquer les nombreuses situations dans lesquelles il est clair que l’information ne fait pas tout : le tri des déchets, les campagnes de prévention en matière de santé, la demande du RSA ou des allocations familiales (qu’une part importante des personnes éligibles ne fait pas). 

Dans le domaine du management, un enjeu est d’apprendre à reconnaître les nombreux biais cognitifs, ces « automatismes de pensée » qui affectent énormément nos décisions. Pour prendre quelques exemples de tels biais, nous attachons plus d’importance à la perte potentielle qu’au gain potentiel (biais dit d' »aversion à la perte »), au présent qu’au futur , aux informations négatives plutôt que positives… Nous avons aussi tendance à rechercher la confirmation de nos opinions. Connaître ces biais permet sinon de les éviter, du moins d’atténuer leur puissance.

Un autre enjeu managérial consiste à créer les conditions de la sécurité psychologique des agents de la collectivité. 

Les principes suivants y contribuent.

  • Exprimer son point de vue sans empiéter sur le ressenti des autres.
  • Poser le droit à l’erreur et à la perte temporaire de compétences comme fondamentaux. Dédramatiser les « échecs » et les présenter comme une source précieuse d’apprentissage.
  • Développer un leadership inclusif qui mette en avant la complémentarité des collaborateurs tout créant une identité de groupe. 
  • Amorcer une logique de solidarité, en posant des objectifs communs aux équipes. Celles-ci seront ainsi incitées à travailler les unes avec les autres, et non les unes contre les autres.