Montpellier 2014 > Extrait des échanges

Métropoles et gouvernance des territoires

Le thème de cette cinquième rencontre a conduit les participants à analyser les jeux de pouvoir à différentes échelles, à partager leurs tâtonnements quant à la difficile appropriation collective de l’objet métropolitain et à confronter leurs expériences de la territorialisation des politiques publiques et de la mutualisation des services.

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Bras de fer catalan

En Espagne, ce sont les régions autonomes (comunidades) qui créent ou défont les métropoles, et c’est peu dire qu’elles ne se précipitent pas pour partager leur pouvoir. Seules ont été créées celles de Vigo et de Barcelone, la première n’ayant pas encore d’existence réelle faute d’accord politique. Quant à la seconde, née sous Franco d’un lobbying acharné des pouvoirs économiques, “c’est une longue histoire”, rappelle Antoni Fernandez. Le pouvoir régional, vainqueur d’un bras de fer avec le maire, l’a dissoute en 1987. Il faudra que l’ancien maire accède à son tour à la tête du gouvernement de Catalogne en 2003 pour décider de restaurer la métropole, et encore 7 ans, sur fond d’interminables négociations politiques, pour la mettre réellement en place en 2010. “Cela a duré vingt ans et a été un vrai désastre, notamment sur le plan des infrastructures” déplore Antoni Fernandez. Aujourd’hui, dans la grave crise qui affecte le pays depuis 2008, le pouvoir central tend à réduire l’autonomie financière des communes au profit des régions et la consolidation des métropoles n’est “absolument pas à l’ordre du jour”.

Indéfinissables métropoles

La Fabrique métropolitaine est le nom donné au processus de métropolisation bordelais. L’enjeu est de “faire émerger le désir de quelque chose, de mettre les choses en mouvement, explique Michel Vayssié, de sorte que la loi vienne constater un fait déjà réel”. D’où l’appel à la participation des habitants, ou plutôt des “usagers, car si les communes gèrent des stocks, les métropoles gèrent des flux de gens qui ont des besoins, font du bruit, etc.” Et la question des compétences apparaît finalement secondaire. “La société civile, très agacée des renvois de responsabilités ne dit qu’une chose, “Réglez-nous ça !”, affirme Michel Vayssié. À un moment, les acteurs économiques cherchent un fédérateur et la communauté urbaine est bien placée pour jouer un rôle d’ensemblier.”  “L’objet métropole est bien plus difficile à définir que le processus de métropolisation” observe à son tour Alain Bourdin. Pour cet urbaniste, sociologue, chercheur et globe-trotter, le fonctionnement des institutions n’offre pas vraiment de clés de lecture pertinentes dans ce travail de définition. Le projet n’est pas non plus “l’alpha et l’oméga” du processus de métropolisation, même s’il permet d’organiser autour de lui une “coalition de projets” œuvrant dans le même sens. Car il faut se garder de rechercher l’homogénéité à tout prix, mais plutôt essayer de “faire fonctionner l’hétérogénéité”.

Territorialisation : encore du pain sur la planche

La territorialisation peut prendre la forme d’une déconcentration des services communautaires. La communauté urbaine de Nantes l’a tentée en créant des directions de l’aménagement par territoire qui, selon ses représentants, ne fonctionnent toutefois pas très bien. Olivier Moulis se demande si cela ne revient pas tout simplement à créer un échelon de plus sans apporter de proximité supplémentaire. À Rouen, où les trois communautés de communes récemment “agglomérées” présentent des profils très différents et où “la présence physique de l’institution sur le terrain est un enjeu très fort”, un système de “territorialisation politique et technique” devrait se mettre en place selon Frédéric Althabe, qui précise : “Nous prévoyons de créer 5 ou 6 territoires dont le découpage précis sera arrêté après les élections”. S’il est important qu’il y ait une certaine “symétrie entre les territoires”, il faut, pour éviter la dérive technocratique, “être à la fois très précis sur ce qui est délégué des directions centrales aux directions territoriales, et être souple sur ce qui est délégué par le territoire à la commune car il y a beaucoup de différences entre Rouen et les communes rurales. Toulouse offre un exemple d’organisation à la fois territorialisée et mutualisée. Une mutualisation qui, selon Philippe Mahé, apporte “plus de fluidité dans les décisions, une plus grande coordination territoriale, une vision commune et partagée du territoire, une meilleure expertise et la garantie d’une ingénierie de qualité”. Dans la ville rose, 1 500 agents sont mutualisés tandis que 7 800 sont employés à la ville et 3 100 à la communauté urbaine. Les services mutualisés sont des fonctions support (direction générale, ressources humaines, commande publique), des missions techniques transverses (entretien des bâtiments…) et des plateformes de service comme les autorisations d’urbanisme et les systèmes d’information. Lille n’y est pas encore, mais les contrats territoriaux sont un pas vers la mutualisation. “Ce sont des sujets sur lesquels la Communauté urbaine n’a pas de compétences pour le moment mais qui permettent justement de les préparer et de préfigurer un prochain schéma de mutualisation” explique Marie-Caroline Bonnet-Galzy.

Gare aux avantages statutaires acquis

À Alès, la mutualisation des services entre la ville centre et la communauté d’agglomération, intervenu en 2002, a été rapide. “Dix-huit mois après la création de l’agglo, on avait déjà quasiment doublé les services de la ville. On a compris qu’on allait dans le mur” se souvient Alain Bensakoun, alors DGS de la ville et futur DGS unique. Le changement sera radical et la mutualisation globale : aucun service n’y échappera. Il est apparemment plus simple de prendre les choses au début, avant que trop d’habitudes et d’avantages acquis ne soient figés. A Toulouse, la mutualisation représente aujourd’hui une économie 6 M€ par an soit environ 180 emplois.  À Brest, où elle s’engage tout juste après 30 ans d’existence de la communauté urbaine, Bertrand Uguen se voit engagé sur un parcours “semé d’embûches, où l’on voit le concept énarquien d’économies d’échelle voler en éclat. Il y en aura sans doute, poursuit-il, mais pas avant une quinzaine d’années, car l’harmonisation des conditions de travail, en particulier, prend énormément de temps et complexifie les enjeux de management.” L’enjeu de la mutualisation est-il vraiment là ? “Nous avons refusé de chiffrer les économies d’échelle, explique Alain Bensakoun, car notre projet n’était pas de réduire la masse salariale, mais d’accroître l’efficience des services et la lisibilité interne et externe du fonctionnement. Deux ans après la mutualisation, les services ont été réorganisés par pôles, “ce qui revient à mutualiser les services autour de politiques publiques et présente un intérêt à la fois administratif et politique. Quand le maire présente ses orientations, il le fait forcément dans le contexte plus large de l’agglomération, explique Alain Bensakoun. La cohérence territoriale des politiques ressort très clairement. Cela nous a beaucoup servi pour définir les projets de territoire.”