Lyon 2015 > Extrait des échanges

Fusions et réorganisations de collectivités territoriales

La gestion du temps est au cœur des processus de réorganisation. Elle va de pair avec la responsabilisation des agents, sans laquelle une nouvelle culture commune est très difficile à instaurer. Quant à la participation des habitants, elle devient réellement déterminante et appelle de profonds changements d’approche et de méthode.

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Le temps, carburant des processus de changement

En décembre 2012, l’annonce surprise par leurs présidents de la fusion du conseil général du Rhône et du Grand Lyon sur le territoire de ce dernier a stupéfié au sommet de l’État mais n’a pas fait tellement de remous localement. Des années de coopération l’avaient déjà un peu installée “dans les têtes” explique son directeur général Benoît Quignon. Ainsi s’explique que Lyon ait été précurseur dans l’évolution législative qui allait donner lieu, avec la loi MAPTAM de janvier 2014, à la création des métropoles.

“Il n’y a pas deux fusions identiques”, expose Marianne Pekola-Sjöblom, reprenant les conclusions d’une enquête portant sur 78 fusions de communes finlandaises en 8 ans. Les différences tiennent en grande partie à la qualité du leadership car le travail ne commence véritablement que le premier jour de la fusion, et il peut être très long. Une bonne analyse des résultats se fait à 3 jours, puis à 3 mois, puis 3 ans.

Nous sommes justement 3 mois après la création de la métropole de Lyon remarque Benoît Quignon. Si la décision politique a battu tous les records de vitesse, l’adoption tardive de la loi a maintenu longtemps les réformateurs lyonnais dans les starting blocks. Finalement, “l’échéance du 1er janvier 2015 nous a aidés à nous concentrer sur l’essentiel et à prendre des décisions rapides” analyse Benoît Quignon. Cet “exploit d’organisation” est un objet de fierté collective, mais il reste encore de nombreux défis, de nouvelles échéances, c’est une “machine infernale”.

Or le temps est justement l’un des carburants des processus de changement, témoigne un DGS familier des réorganisations ou mutualisation de services de grande ampleur. Toutes choses égales par ailleurs, un changement réalisé en douceur en 5 ans est vécu comme un cataclysme en 2 ans. Frédéric Moonens a vécu de près la fusion des groupes chimiques Rhodia et Solvay, décidée en 3 semaines. Il commence son témoignage par ces mots : “Si vous ne devez retenir qu’une chose de mon exposé, que ce soit l’importance de la courbe du changement.” Tout individu passe nécessairement par une phase de peur ou de rejet avant de devenir partie prenante du processus, d’où une courbe en cloche inversée. La gestion humaine du changement visera donc non
à nier ces étapes mais à accélérer leur franchissement, c’est une “gestion de l’accélération”. Les dirigeants, qui n’ont pas conscience d’être en avance sur les salariés, ont trop souvent tendance à l’oublier.

Le temps est donc un élément clé de la gestion du changement, même s’il ne se vit pas de la même manière à Lyon qu’à Montpellier, par exemple, dont le DGS Christian Fina rappelle que la transformation en métropole n’était pas automatique et a donné lieu à un important travail de concertation préalable entre élus.

En Suède, la création de la région de Scanie, née d’une fusion, a demandé 4 ans de préparation. Quant à la métropole parisienne, sa création “prendra au moins dix ans” pronostique Michel Namura, DGS de Montreuil.

Des syndicats diversement mobilisés

Le plan social consécutif à la fusion Rhodia Solvay soulève des questions quant à la “faisabilité technique” d’une fusion entre services de collectivité, où de tels licenciements sont difficilement envisageables. De fait, en Finlande, la réforme sur la fusion des communes n’est passée que contre la promesse de ne licencier personne pendant 5 ans. En Scanie (Suède), où Gösta Rhenstam dirigeait les négociations avec les syndicats lors de la fusion, tout le personnel issu des deux départements a été conservé moyennant une “très longue anticipation” et une série de “check-lists attestant que les risques psycho-sociaux étaient sous contrôle”.

Dans les pays nordiques et en Allemagne, les syndicats ne sont pas, rappelons-le, dans une posture systématique de conflit mais sont largement associés au fonctionnement de l’entreprise. En outre, ils ne se font pas concurrence entre eux (syndicalisme de branche). En France au contraire, les syndicats sont mal à l’aise avec la co-construction et ne participent donc pas à la réorganisation des services lors des fusions. L’approche des élections syndicales exacerbe les tensions et fausse le dialogue social. Toutefois, observe un DGS, “les élus commencent à jouer sur du velours : la grève montre que l’employeur défend le contribuable, tandis que la paix sociale rime avec la perte des élections”.

Responsabiliser les agents dans leur propre changement

Éric Ardouin estime que, lors d’une fusion “on peut remobiliser les gens autrement […] Nous avons tort de ne voir nos organisations que comme des mécaniques rationnelles. Ce qu’il faut, c’est que les gens soient responsabilisés dans leur propre changement et qu’ils puissent retrouver le pouvoir qu’ils avaient avant, qui n’est pas lié à un statut mais à des réseaux,” explique-t-il. Un DGS témoigne que les grévistes ont changé de profil : ce sont aujourd’hui les “gens des bureaux”, qui se plaignent de n’avoir “pas pu travailler sur la nouvelle organisation”.

On ne fera pas l’économie d’une culture commune, qu’il faut refonder après la fusion, sans négliger de réinterroger les sens des mots. Ainsi le respect des hommes revendiqué tant par Solvay que par Rhodia revêt-il un sens étonnamment différent selon qu’on vient de l’une ou l’autre des deux entités, témoigne Frédéric Moonens. Une mission d’assistance à la construction d’une culture commune est sur le point d’être lancée dans la métropole de Lyon, où les agents l’ont identifiée comme un “enjeu fort”.

Aucun projet ne peut plus être imposé d’en haut

Plus d’un exemple montre que la réussite de la participation citoyenne est en train de devenir un enjeu majeur de tout projet public. Les attentes comme les outils de communication ne sont-ils pas en train d’évoluer plus vite que les méthodes de concertation mises en place par les collectivités, même les plus dynamiques en la matière ?

Ce que Rainer Plassmann expose de la situation allemande donne à réfléchir. La défiance envers les partis politiques est devenue générale. Les “citoyens en colère” se rencontrent désormais dans toutes les classes sociales, immigrés récents mis à part. Ce climat interdit purement et simplement la réalisation de grands projets d’infrastructure, si nécessaires soient-ils, et aucun projet ne peut plus être imposé d’en haut. “Il faut être prêt à débattre avec des groupes qui se forment subitement pour s’opposer à des projets” explique-t-il. À condition de savoir s’y prendre, miser sur la participation citoyenne est toutefois payant, voire moteur. À Cologne, par une troublante inversion des rôles, le grand projet d’aménagement urbain Innenstadt est littéralement le résultat d’une initiative citoyenne avalisée par la collectivité.

On comprend que les métiers soient eux aussi en train de changer : non seulement le temps consacré à la communication avec les parties prenantes des projets s’allonge, mais cette compétence est devenue stratégique. “Aujourd’hui nous avons moins besoin de spécialistes que de gens qui savent communiquer” et ceux qui sont incompétents sont écartés, conclut Rainer Plassmann.