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A) Métropoles et système académique

D’une métropole à l’autre, les institutions de la collectivité et de l’université entretiennent des relations très inégales. S’il se cherche encore parfois, ce couple est pourtant fait pour vivre nombreuses coopérations, stratégiques et enrichissantes pour les deux partenaires.

Métropoles et universités : des relations contrastées

Le couple métropole / université est difficile à appréhender, commence Pierre-Emmanuel REYMUND qui tente en introduction de planter le décor, ne serait-ce que parce que l’empreinte territoriale des universités, forcément liée à l’histoire, est très variable d’une ville à l’autre. Il faut rappeler que les locaux universitaires, en grande partie des campus construits dans les année 1970, représentent le tiers du patrimoine immobilier de l’État. Les lois Université 2000, U3M, les pôles de compétitivité de 2005 et l’opération Campus de 2008 ont été des jalons importants dans la transformation de ce patrimoine.

Un moment charnière, selon Lionel DELBOS, est la loi LRU d’autonomie des universités, en 2013. Les fusions qui se sont ensuivies, y compris en intégrant des établissements privés, ont créé des institutions beaucoup plus puissantes, qui sont les nouvelles interlocutrices des collectivités. Un amendement à la loi 3DS crée en outre les SPLU (sociétés publiques locales universitaires), compétentes pour mener des opérations d’aménagement sur les campus, ce qui promet une « mini-révolution » et semble de bon augure pour l’ouverture des campus sur la ville. Mais il y a aussi des progrès à faire pour que les « centaines de milliers de chercheurs » qui travaillent sur des sujets intéressant les collectivités en France soient mieux écoutés. En outre, il serait certainement très utile que métropoles et universités coopèrent pour adapter l’offre de formation aux besoins des territoires. La Flandre serait arrivée ainsi au plein emploi.

Domnin RAUSCHER (Marseille) souligne que les universités d’Aix et Marseille ont fusionné dès 2012 (avant la loi, donc), accédant à l’autonomie totale, y compris immobilière. L’Université est « un acteur à part entière du territoire, associé dès 2016 à l’agenda économique ». Chaque direction générale de la Métropole fait travailler deux équipes de recherche dans le cadre de conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE). Le recours aux apprentis s’est beaucoup développé, une manière de faciliter des recrutements devenus de plus en plus ardus.

L’Agence d’urbanisme de la Région grenobloise, témoigne son directeur Benoît PARENT, constitue de facto un lieu d’échange entre l’enseignement supérieur, la recherche et les collectivités, à travers un conseil scientifique, une multitude de travaux universitaires, et bientôt par l’adhésion à l’Agence de l’Université et du CROUS.

En Allemagne, la coopération entre les villes et leurs universités est une pratique très courante, témoigne Hilmar von LOJEWSKI. Elle est fortement tournée vers les implications pratiques des résultats des sciences environnementales et sociales sur le fonctionnement urbain. Des sujets dont s’empare notamment l’Institut allemand d’urbanisme (DIFU) créé en 1973 par l’Association des villes allemandes (Deutscher Städtetag), justement.

Repenser l’évaluation de la recherche et engager les universités sur des objectifs

L’Union européenne encourage ses États membres à reconsidérer leurs modalités d’évaluation de la recherche. À l’indicateur actuel du nombre de publications de résultats scientifiques par les chercheurs il faut substituer d’autres instruments de mesure – à trouver – articulés avec une logique d’engagement des universités sur des objectifs. C’est Patrick LÉVY qui l’indique, avant d’ajouter que la science est face au défi énorme de reconstruire sa crédibilité dans une société qui ne la comprend plus et ne croit plus en elle. C’est un sujet en or pour la coopération entre l’université et son territoire. Le monde académique y est prêt : il a compris que l’impact sociétal de ses travaux est au cœur des sa responsabilité. Bien entendu, cela aiderait que les étudiants soient heureux – d’où ce schéma d’amélioration de la vie étudiante à l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées – et que les relations entre institutions soient fluidifiées, plaide son président Philippe RAIMBAULT, qui n’a pas moins de huit interlocuteurs politiques (vice-présidents) à la Métropole.

Le programme de recherche-action en urbanisme POPSU

« Nous sommes des professionnels du dialogue entre les métropoles et les universités », plaide Hélène PESKINE en présentant la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (POPSU), un programme de recherche-action qui achève sa troisième saison et prépare la quatrième. POPSU contribue à rapprocher et croiser les expertises de deux mondes aux fonctionnements très différents, en recrutant des chercheurs qui vont travailler sur des questions posées par les collectivités. Nous sortons de cinq ans de crises – grèves des transports, Gilets jaunes, crise sanitaire…– qui ont conduit les villes à se transformer de manière accélérée, en empruntant des chemins de transition différenciés. Ce que POPSU observe, c’est donc « la résilience en train de se faire ».

Le cas grenoblois

Jean-François CURCI introduit la présentation d’un cas concret, celui du programme POPSU III de Grenoble. Le thème des deux années de recherche est « Grenoble dans son environnement ou le pari d’une métropole résiliente », avec trois hypothèses de travail : la résilience du modèle grenoblois reposerait sur la mutation de son système socio-économique local, sur la reconnexion avec son histoire-paysage et sur l’hospitalité métropolitaine.

Magali TALANDIER, qui a dirigé l’équipe de chercheurs, se félicite de la qualité de la démarche POPSU et analyse les conditions de réussite d’un tel programme : choix des personnes, confiance réciproque… À Grenoble, sa co-construction, la diffusion de résultats intermédiaires pour entretenir la curiosité, des ateliers de travail avec les « techniciens » (« Comment on met ça en action ?) ont particulièrement bien marché, mais il faut veiller à associer plus les services concernés et à « faire redescendre » la réflexion. Pour les chercheurs, POPSU constitue aussi un réseau national, et contribue à la reconnaissance de l’Université, facilitant l’attribution de certains labels (IDEX).

Emmanuel ROUÈDE expose le positionnement adopté par Grenoble pour sa candidature, couronnée de succès, au titre de Capitale verte européenne 2022. Il repose sur le triptyque sciences / participation citoyenne / culture. Le GIEC et le mouvement Youth for Climate sont deux aiguillons de la nouvelle dynamique grenobloise. Les liens étroits entre l’Université et les collectivités ont permis de constituer « en quelques jours » un comité scientifique d’une quarantaine de personnes, dont des chercheurs impliqués dans POPSU, dans de nombreux contrats CIFRE et dans des partenariats de recherche.

Tour de table : quelles attentes de POPSU Métropoles IV ?

Ce qui fait tout l’intérêt de la recherche-action POPSU, c’est que les collectivités ont besoin de prendre du recul face à des incertitudes et une complexité de plus en plus grande, tandis que les chercheurs veulent produire des savoirs utiles à l’action – ce qui ne veut pas dire applicables, précise Marie-Christine JAILLET.

Le prochain programme est en train de germer, d’abord par un fil rouge qui pourrait être « La métropole et les autres » (chaque métropole se donnant une problématique en rapport). Ce serait une manière de sortir par le haut du thème de la fracture métropolitaine, voire d’inverser la dépendance : et si c’étaient les métropoles qui dépendaient des territoires péri-métropolitains ? La chercheuse parle aussi de « métropoles transactionnelles ».

Mais pour l’heure, les DGS sont invités à formuler des suggestions. Olivier PARCOT (Nantes) trouverait utile d’être aidé dans la rédaction d’une politique d’agriculture urbaine, dans la mesure où cela dépasse les compétences de la métropole. Il évoque également un grand débat à venir en 2023 sur la fabrication de la ville, qui doit notamment permettre d’élever la conscience citoyenne quant à la tension entre croissance démographique et impératif de préservation des sols. Pierre-Emmanuel REYMUND aimerait « embarquer les sciences dures ». Marie VILLETTE (Paris) et Éric ARDOUIN (Toulouse) voudraient réfléchir respectivement à ce qu’impliquent la prise en compte de l’impact environnemental des bâtiments sur tout leur cycle de vie et le « zéro artificialisation nette » (ZAN). Laurence QUINAUT (Rennes) s’interroge sur le revirement du discours dominant, prônant hier la « densité heureuse » pour la condamner aujourd’hui. Elle suggère également de veiller à ce que les métropoles « se répartissent bien les sujets de la transition. »

Emmanuel ROUÈDE souscrit aux pistes proposées par Marie-Christine JAILLET et suggère également de travailler sur les scénarios énergétiques de RTE et de l’ADEME. « Il y a dix ans, observe-t-il, toutes les métropoles voulaient ressembler à Lyon. Aujourd’hui, c’est l’heure des choix et ils sont très contrastés. Il faudra rediriger l’action publique, ce qui impliquera de renoncer à certaines choses. » Benoît QUIGNON (Marseille) s’inquiète de la difficulté à partager l’analyse des enjeux environnementaux : comment convaincre la population de la nécessité d’agir (sans quoi rien ne sera possible) ? Marie-Claude SIVAGNANAM (Cergy-Pontoise) regrette l’absence de la métropole parisienne au sein de POPSU, qui s’explique, indique Hélène Peskine, par la volonté de « ne pas se laisser écraser par la recherche parisienne », même si cette situation n’est pas entièrement satisfaisante et pourrait peut-être évoluer. Olivier LANDEL (France urbaine) salue l’intérêt des travaux et retient en particulier le rôle de « facilitateur » entre acteurs, qui pourrait être utile dans les échanges avec la « sphère État ».

B) Gestion stratégique des ressources humaines

Recruter et fidéliser des collaborateurs est un défi partagé par toutes les métropoles, exigeant des plans d’action très élaborés.

Le recrutement d’agents publics territoriaux vu depuis l’Allemagne et la Belgique

La ville allemande de Bochum (Rhénanie-Westphalie) a adopté en 2015 son plan stratégique 2030. L’objectif de devenir « pionnier du management municipal moderne » y figure en bonne place, impliquant d’adopter et de partager une nouvelle attitude managériale. Pour Elke WERTHMANN-GROSSEK, directrice des ressources humaines, ce plan stratégique est un appui sérieux alors que le recrutement et la fidélisation des employés municipaux est devenu un enjeu majeur. Les jeunes, surtout, sont difficiles à attirer. D’où une batterie de mesures visant à faciliter les promotions internes, assurer l’égalité hommes-femmes, permettre largement le télé-travail (tous ceux qui en ont la possibilité y sont autorisés), accélérer la digitalisation, instaurer une atmosphère conviviale…

La concurrence entre employeurs étant féroce (autres administrations, autres communes) et la liberté de salaires très encadrée, il ne suffit pas de proposer un ordinateur portable ou un bon équilibre de vie professionnelle/personnelle, car tous peuvent le faire. En revanche, parce que cela ne se construit pas en un jour, il est plus difficile donc plus discriminant d’offrir une bonne culture professionnelle et des parcours qualifiants.

À Bruxelles aussi, attirer des talents et les retenir est le premier challenge auquel la direction des ressources humaines de l’administration régionale doit faire face.

En 2018, Bruxelles-Capitale et douze autres administrations régionales ont délégué à une agence publique, talent.brussels, entre autres missions, la gestion de leurs fonctionnaires, soit 4500 contrats de travail. Les processus de recrutement ont été digitalisés, les tests de sélection diversifiés (moins logiques, plus techniques) et l’offre de formation en ligne a explosé (aujourd’hui près de 1600 programmes). Des travaux sur la marque employeur (essentielle) et sur la mobilité professionnelle intra-régionale complètent ces efforts. Le second challenge, explique Isabelle MEULEMANS, consiste à mettre en place la nouvelle organisation de travail post-covid, comprenant minimum trois jours de télé-travail. Un plan d’action intitulé New Ways of Working est en cours de négociation entre les partenaires régionaux (tutelles de l’agence). Il porte sur la qualité de vie au travail, les aspects juridiques, le budget et l’analyse des impacts du télétravail.

Services publics de la mobilité : comment préserver le capital humain dans un secteur en pleine mutation

Dans les transports publics aussi, les ressources humaines se gèrent sur le mode du défi. Bruno DANET en développe quatre, et leur associe nombre de mesures transposables aux collectivités.

1) Attirer et fidéliser (encore…) : on retiendra notamment la création de parcours professionnels développant la polyvalence, de passerelles entre employeurs, ou encore la modernisation des intitulés de postes (les postes de sous-chef de bureau ou de dessinateur faisant fuir les candidats).

2) Développer les compétences et en acquérir de nouvelles par la formation (massive).

3) Adopter de nouveaux modèles managériaux : « Fédérer autour d’un projet, ça marche et ça permet d’embarquer tout le corps social ! ». Cela passe aussi par un nouveau référentiel : le manager se voit invité à procurer à ses collaborateur un travail qui ait du sens, un rôle clair, de la reconnaissance et un avenir dans l’entreprise (ou la collectivité).

4) Construire avec les partenaires sociaux le modèle de l’entreprise de demain. Avec un taux de syndicalisation au plus bas et un taux de conflictualité (dans les transports publics) divisé par deux en 10 ans, avec un décalage croissant entre le corps social et une culture syndicale fondée sur la défense des acquis, la possibilité semble réelle de parvenir à un dialogue plus constructif. C’est peut-être le moment de se dire que les « masses » d’argent consacrées à rémunérer l’ancienneté seraient mieux employées dans la reconversion des salariés vers de nouvelles responsabilités.