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Transition : scénarios prospectifs et plans d’action

Il y a urgence à organiser la transition écologique. Si l’heure est aux scénarios prospectifs nationaux, les métropoles ont un rôle majeur à jouer dans cette entreprise et s’y emploient, en particulier pour adapter leur propre fonctionnement ou agir sur les comportements. 

Des constats scientifiques aux scénarios de transformation

Thierry LEBEL rappelle quelques bases scientifiques. En 2020, la température moyenne du globe s’est déjà élevée en moyenne de 1,2 à 1,3°C par rapport à l’époque pré-industrielle, nettement plus dans les parties habitées. Ainsi la hausse atteint-elle déjà 2,3°C dans les Alpes. Sachant que 2 475 Gt d’équivalent CO2 ont déjà été envoyées dans l’atmosphère et ne sont pas près d’en partir, le budget carbone restant jusqu’à la fin du siècle n’est plus que de 420 Gt, si l’on veut rester en dessous de la hausse de 1,5°C sur laquelle les États se sont engagés à la COP 21 de Paris en 2015. C’est un « miracle » diplomatique que ces Accords de Paris selon les uns, un « désastre » selon les autres puisque les engagements ne portent que sur des procédures intentionnelles et non sur des objectifs chiffrés. D’autant qu’il y a, selon Thierry LEBEL un profond « schisme de réalité » entre les engagements pris et les moyens envisagés : une baisse de 5 % des émissions de gaz à effet de serre, objectif annuel jusqu’en 2030, c’est peu ou prou ce que l’épidémie de COVID a entraîné en 2020. 

Voilà pour le sujet du climat, « beaucoup plus simple » que les huit autres limites planétaires, dont plusieurs ont déjà été franchies (biodiversité, cycle de l’azote, polluants…). Or l’absence de dialogue entre la communauté scientifique et le monde politique est très préoccupante. Les obstacles sont légion : difficulté d’appréhender l’incertitude, confusion entre science et expertise technique, conflit entre les intérêts de court et de long terme…

Eric ARDOUIN (Toulouse) s’inquiète du risque politique : « Notre PLU a été annulé, nous allons devoir le refaire en appliquant le ZAN [zéro artificialisation nette] et nous en verrons très vite les effets politiques et sociaux. La démocratie, ce n’est pas simple : si on fâche les électeurs, on prend le risque d’avoir Trump. » Emmanuel ROUÈDE (Grenoble) est plus optimiste : « Le chemin de la transition va être difficile et parsemé de chocs, mais les métropoles ont de réelles possibilités d’action pour créer des systèmes urbains résilients », notamment en se dotant d’un modèle énergétique local.

Les quatre scénarios de l’ADEME

L’ADEME a fait paraître une volumineuse étude visant à « donner une âme à l’objectif de neutralité carbone en 2050 » et à apporter des éléments factuels au débat électoral (trois semaines nous séparent du premier tour de l’élection présidentielle). Elle compare quatre scénarios, « non pas systémiques mais multi-factoriels », permettant d’atteindre la neutralité carbone du territoire. Autrement dit, l’impact des importations n’est pas pris en compte, mais l’étude part du principe très théorique que tous les pays du monde adoptent simultanément la même démarche. « Ces scénarios sont des récits de sociétés autant que des prospectives techniques », explique Jean-Louis BERGEY. Quelques mots-clés permettent de saisir les différences de vision entre des scénarios extrêmement contrastés. Le scénario 1 Génération frugale mise sur le low tech, la division par trois de la consommation de viande, la rénovation massive des bâtiments et l’arrêt quasi complet de la construction neuve. À l’opposé, le scénario 4 Pari réparateur poursuit l’étalement urbain, la consommation de masse et l’agriculture intensive en recourant à des « technologies incertaines » (sic) telles que le captage du CO2 dans l’air ambiant. Entre les deux, le scénario 2 Coopérations territoriales impose moins de contraintes que le premier aux modes de vie, tandis que le scénario 3 Technologies vertes est plus raisonnable que le 4, en adoptant un consumérisme vert mais moyennant une régulation minimale. À chaque scénario son défi, démocratique pour les deux premiers, technologique pour les deux autres. L’intérêt de la démarche serait de dégager et de mettre en débat cinq problématiques : la sobriété, le rôle des puits naturels de carbone (forêts, sols), le régime alimentaire où se croisent des enjeux climatiques, sanitaires et agricoles, et enfin le bâti et sa nécessaire rénovation. 

Le plan de transformation de l’économie française du Shift Project

« Il nous faut un plan » est le mot d’ordre Shift Project : un plan de décarbonation de l’économie, sur lequel ce think tank travaille depuis plusieurs années. On a bien compris qu’il était urgent de sortir des énergies fossiles. Il faudra pour cela transformer l’économie en 20 à 30 ans, alors même que les objets de cette transformation – parc automobile, parc de machines, bâtiments et infrastructures – se renouvellent habituellement à une fréquence moindre (d’où une forte inertie). En outre, que substituer aux 70 % d’énergie fossile sachant que d’une part le recours à la biomasse est limité par le besoin de sols, d’autre part le recours aux énergies renouvelables pour produire de l’électricité est limité par les besoins en matériaux, et enfin le recours aux carburants de synthèse tels que l’hydrogène supposerait de multiplier par cinq la production d’électricité d’ici 2050 alors qu’on sait qu’on aura du mal à l’augmenter de 50 % ? 

La marge de manœuvre, que Corentin RIET appelle « zone de sûreté », est donc étroite et « on n’y arrivera pas dans tous les secteurs ». Il va falloir « organiser la sobriété »et c’est là que les territoires ont un rôle majeur à jouer, pour proposer aux habitants et aux entreprises des « infrastructures de choix ». 

Déclinaisons territoriales

Le plan national du Shift Project est en cours de déclinaison territoriale, avec le concours de France urbaine, qui envisage d’ailleurs d’amener les métropoles à prendre collectivement des engagements. Il s’agit de tenir compte des spécificités de chaque territoire pour imaginer des adaptations différenciées, mais aussi de s’appuyer sur les collectivités territoriales pour « inscrire les enjeux globaux dans la vie concrète des citoyens ». 

Le débat qui suit l’exposé de Corentin RIET porte sur les leviers dont disposent les métropoles. Ce dernier invite les DGS à considérer ce point de vue peu conventionnel : dans une métropole, surtout si elle fait partie des plus riches, le levier de décarbonation le plus puissant consiste à réduire la consommation de certains biens ou services par les usagers du territoire. Exemple : l’aviation, dont l’impact est énorme à l’échelle d’une métropole comme le Grand Paris. Les métropoles, et elles seules, ont la main sur les infrastructures d’accès aux aéroports : elles peuvent les gérer de manière à allonger les temps d’accès, seul élément dissuasif pour des usagers privilégiés qui sont peu sensibles au signal prix mais dont le temps est compté. Suicidaire, dans la compétition entre territoires ? Pas à long terme car la déprise aéroportuaire aura lieu et les villes qui auront anticipé y seront mieux préparées. 

La théorie du donut

Avant de rencontrer des climatologues, l’économiste Christian de Perthuis pensait comme la quasi-totalité de ses collègues que l’économie devait viser l’abondance. Il enseigne aujourd’hui le contraire : avec le changement climatique, c’est le trop-plein (de GES, de polluants…) et non la rareté qu’il faut combattre. Un modèle très pédagogique est fourni par la théorie du donut de la Britannique Kate Raworth, qui situe l’espace de justice et de sûreté habitable par l’humanité entre un fondement social et un plafond écologique.  

Atteindre la neutralité climatique implique une double transition. Énergétique d’une part, pour sortir des énergies fossiles (70 % des émissions mondiales de GES), agro-écologique d’autre part, pour réduire les émissions de méthane par le vivant, les ruminants et les rizières principalement, mais aussi pour préserver les puits de carbone que sont les plantes, les sols et les océans. La nécessaire transition agro-écologique révèle les liens étroits entre climat et biodiversité. 

Désinvestir n’est pas « fun » 

Mais il existe une différence essentielle : la sortie des énergies fossiles implique une économie de rationnement dont le coût, énorme, est celui du désinvestissement, « pas fun ». Qui paiera pour les actifs industriels ou énergétiques échoués, pour beaucoup très loin d’être amortis ou payés ? Probablement nos impôts et non le secteur financier. Et le capital humain attaché à l’exploitation de ces actifs sera le sujet le plus difficile à gérer.

À l’inverse, le développement d’une bioéconomie demandera d’énormes investissements pour transformer l’agriculture industrielle en une agriculture écologiquement intensive. L’enjeu est bien l’approvisionnement alimentaire, d’importance majeure pour les métropoles. Une autre facette de ce sujet est le ZAN, dont « l’intitulé est mensonger » puisque les terres agricoles sont aujourd’hui très artificialisées, et qui va offrir des rentes foncières incroyables aux premiers qui auront « péché ». 

Agir maintenant

Capitale verte européenne : un levier de transition

Pour Grenoble et ses nombreux partenaires impliqués dans la candidature, la « capitale verte » est un moyen d’accélérer la transition en suscitant un maximum de participation citoyenne. Tous les acteurs du territoire sont invités à construire le programme en proposant des événements (600 à ce jour : mars 2022) et en relevant des défis (objectif : 10 000). Les événements et défis conformes à l’esprit du projet sont labellisés (logo). Comme le souligne Guillaume Thierot, directeur du GIP créé pour porter le projet, « c’est avant tout de la communication ». Il s’agit de rendre visible la mobilisation du territoire et d’impulser un élan conçu pour durer. 

Lyon veut faire changer les modes de vie

Les éco-gestes ne suffisent plus : pour accélérer la transition, il faut un changement massif de modes de vie. C’est l’objectif que s’est donné la métropole de Lyon en repositionnant la Mission prospective créée par Raymond Barre en 1997 comme « écosystème de compétences complémentaires au service des élus et de l’administration ». Pierre Houssais expose différentes approches par les usages qui montrent que la Métropole peut agir sur les modes de vie en combinant tous les leviers de la collectivité, de manière plus articulée et cohérente.

Montpellier instaure la gratuité des transports

Olivier Nys présente « la mesure totem du mandat ». Pour décarboner les mobilités de manière solidaire, la gratuité entrainera un choc de la demande, conjugué à un choc de l’offre : création de nouvelles lignes, refonte du réseau, déploiement de pistes cyclables et passage de tout le centre-ville à
30 km/h. Le projet implique de transformer la SEM exploitante en SPL et d’absorber le manque à gagner des recettes d’usagers : 40 M€ en 2019.

Grenoble dans la transition managériale

« Il faut changer l’organisation car elle nous entraîne hors des limites planétaires » affirme Emmanuel Rouède. S’il ne fallait qu’une raison, la voilà. Grenoble est une ville en transition et cela concerne non seulement les champs d’action de la Ville et l’exercice de la démocratie participative, mais aussi le fonctionnement interne de la collectivité, avec pour premier enjeu une articulation cohérente entre l’administration et la gouvernance politique. La nouvelle organisation de la ville, avec son équipe municipale écologiste, repose largement sur la délégation aux adjoints et sur des instances collectives de décision ; ce n’est pas le maire mais le groupe politique qui arbitre. Depuis 2016, la Ville s’inspire de penseurs des organisations tels qu’Edgar Morin (la pensée complexe) ou Gilles Téneau (la résilience organisationnelle), ce qui se traduit par des « éléments partagés » : VICA (volatilité, incertitude, complexité, ambiguïté) ou comment intégrer l’incomplétude et l’impermanence des données et assumer le caractère non idéal des décisions ; les dialogiques, qui répondent aux inévitables injonctions paradoxales (ne pas rester isolé) ; l’auto-éco-ré-organisation, qui voit l’organisation comme système ouvert traversé par un processus d’organisation permanent. Le processus de transformation de l’organisation est donc… en cours. « On commence juste à travailler sur la définition de rôles plutôt de que fonctions », explique Emmanuel Rouède. La notion de rôle (raison d’être, périmètre d’autorité, redevabilité) rend plus explicites les interactions de chacun avec ses collègues. Peut-être pas toujours pour le meilleur car « l’implicite est souvent bien pratique » !

L’administration exemplaire de la Métro

Le plan d’administration exemplaire (PAE) de la métropole de Grenoble est un engagement de son plan climat, ce dernier, par essence transversal, étant piloté auprès de la direction générale. L’enjeu du PAE est de se montrer exemplaire, comme toute entreprise, en actionnant tous les leviers possibles, mais aussi d’identifier les freins et de tester des mesures de changement de comportement sur la population des agents. Sept axes ont été retenus avec des orientations pour 2030 et un plan d’action concret pour la période 2020-2022. Le projet est porté par une équipe de quinze référents. Parmi les actions engagées avec succès, on citera la dématérialisation des instances, qui fait économiser un million de pages imprimées. Mais les freins repérés sont aussi très instructifs. Ce qui passe mal : la suppression des dosettes Nespresso (50 000 gobelets),  les plats végétariens dans les buffets réceptifs, l’adaptation de la flotte de véhicules de service, et aussi le numérique. Son empreinte carbone est un « impensé total » de la direction informatique comme de la direction de la communication, à qui a dû être refusée un investissement dans la communication vidéo. Des sujets délicats sur lesquels il faudra beaucoup travailler sont les achats responsables, parce qu’il faut un vrai contrôle, et l’énergie, parce son verdissement est à la fois coûteux et invisible. Il reste beaucoup d’inertie organisationnelle et de freins culturels, constate Jean-François Curci. La voie à suivre passe par un bon pilotage et une incarnation du projet, qui pour l’instants sont plutôt bien portés. 

Schneider Electric suit ses engagements à la loupe

« Quand la loi Pacte a introduit la notion d’entreprise à mission, nous avons pensé que ça ne servait à rien d’exprimer sa raison d’être en une phrase. Mais nous avons constaté que le travail produit pour y arriver était utile », reconnaît Gilles Vermont-Desroches. Un travail qui ne vient pas de commencer puisque le développement durable est « au cœur de sa stratégie de Schneider Electric depuis 2005 ». En 2015, le groupe a pris six engagements de long terme, déclinés en sous-objectifs quantifiables, avec pour chacun une cible à atteindre en 2025. La progression des résultats est suivie chaque trimestre. L’un des engagements porte sur le « local » : il se traduit pas des programmes impactant les communautés des territoires où il est présent. 

La notion de valeur de l’entreprise a radicalement changé depuis les années 1980, où seul le retour sur investissement comptait, puis les années 1990-2010, où il s’agissait juste de compenser les externalités négatives infligées à l’environnement et à la société. La vision de l’entreprise depuis 2015, chez Schneider Electric, est celle d’un acteur qui contribue intégralement au progrès de la société, elle-même soumise à l’impératif de se donner un avenir soutenable.